La notion de provocation à la commission des infractions numériques par les autorités de police

L a police peut utiliser divers moyens pour mener ses investigations et permettre la manifestation de la vérité. Néanmoins elle ne peut pas pour autant aller jusqu’à un degré élevé de provocation à commettre l’infraction en vertu du principe de loyauté de la preuve et du respect des droits de la défense…

 

 

 

Des moyens de preuves exceptionnels

 

Les moyens de preuves exceptionnels, comme les méthodes contre la criminalité organisée sont avant tout dérogatoires et c’est encore pire dans le cadre de la lutte contre le terrorisme (avec une garde-à-vue pouvant aller dans ce cas jusqu’à 6 jours).

Dans ces hypothèses, le législateur autorise par exemple des méthodes de sonorisation et de perception d’images (pour les infractions de la criminalité organisée article 706-96 du code de procédure pénale et suivants), ces méthodes sont autorisées par le juge des libertés det de la détention (JLD).

Le JLD doit motiver son ordonnance sur des énonciation de faits et de droits comme le consacre l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales (CESDH) :

 

Droit au respect de la vie privée et familiale
1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale,
de son domicile et de sa correspondance.
2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans
l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est
prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une
société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale,
à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la
défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à
la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des
droits et libertés d’autrui.

 

Il faut donc respecter un critère de nécessité et de proportionnalité pour mettre en place des procédés de récolte de preuves violant la vie privée. Ces actes ne peuvent avoir aucun autre objet que le but fixé par l’ordonnance du juge.

 

 

Notons néanmoins que le critère de proportionnalité de l’ingérence dans la vie privée au but légitime recherché est loin d’être respecté, ce qui parait contestable au regard de l’art 8 précédent de la CESDH qui favorise les éventuels détournements de procédure.

En effet imaginons une perquisition nocturne autorisée dans un local d’habitation pour la recherche et la constatation de preuves relevant du terrorisme. C’est le JLD qui devra l’autoriser avec une ordonnance spécialement motivée. Imaginons que l’on trouve durant cette perquisition des montres volées dans un placard. Ce qui fait automatiquement penser au recel d’objets volés.

La procédure est alors valable, ce n’est pas grave si le JLD avait autorisé les perquisitions nocturnes pour des faits de terrorisme et non de recel, les textes disent que les procédures restent valables même si ces opérations font apparaitre des infractions autres que celles visées par les actes du JLD.

 

Il faut reconnaitre que cette solution est regrettable, le législateur favorisant de ce fait le détournement de procédure.

 

 

 

 

 

Provoquer ou ne pas provoquer ?

 

 

 

 

Admet-on les provocations policières en tant que moyen de preuve ?

 

A priori non, on ne saurait les admettre. Il serait étonnant que des fonctionnaires de l’état soient autorisés à se livrer à des actes d’incitation à la commission d’infraction.

Sans doute dans certains domaines particuliers où la délinquance cherche la plus grande discrétion, notamment les infractions occultes comme le trafic de stupéfiants, la provocation pourrait permettre la révélation de ces infractions difficiles à faire apparaitre.

 

 

 

Est-il légitime d’avoir recours à un tel moyen de preuves ?

 

De manière générale la doctrine pénale française se montre hostile aux provocations policières, car on ne saurait réprimer les infractions imputables à ces expériences policières.

Les provocations policières doivent demeurer une mesure exceptionnelle que seul un intérêt social impérieux peut sinon légitimer, du moins justifier.

Il faut également relever le critère occulte de l’infraction (difficilement constatable). La question de la loyauté d’un tel procédé a préoccupé les juridictions pénales et donné lieu à une jurisprudence abondante.

Un examen attentif de la jurisprudence fait apparaitre qu’à la différence des provocations passives ou des provocations à la preuve, qui sont sous certaines conditions autorisées PAR LA JURISPRUDENCE (dans la loi il n’y a rien), les provocations actives dites provocations à l’infraction ne sont pas autorisées…

 

 

 

 

Provocation active, provocation passive

 

 

Qu’est-ce que la provocation passive ?

 

Dans l’hypothèse de la provocation passive les fonctionnaires de police font appel à des ruses ou stratagèmes pour constater des infractions en train de se commettre, de même les fonctionnaires de police ne déterminent pas l’action délictueuse et ne suppriment pas la liberté de décision, d’action, des auteurs.

 

Ex : un policier se présente comme un consommateur de stupéfiant (hors cas d’infiltration sous commission rogatoire), en ne révélant pas sa fonction le policier n’utilise pas un procédé LOYAL de récolte de la preuve, néanmoins la jurisprudence l’admet :

Le fait pour un agent de police judiciaire ou d’un service spécialisé de se présenter comme étant un consommateur n’est pas une provocation emportant anéantissement de la preuve, ce n’est qu’une méthode qui facilite la découverte et la constatation d‘une infraction.

Ch crim 16 mars 1972, position confirmée par la même chambre le 2 oct 1979.

 

Les fonctionnaires de police dans ces arrêts avaient plus un rôle passif qu’actif et de ce fait on ne pouvait leur reprocher d’avoir incité quelqu’un à commettre une infraction qu’il n’aurait pas spontanément accompli.

Des décisions plus récentes ont confirmé cette position, ch crim 29 juin 1993 et 8 juin 2005.

 

La provocation passive est admise au-delà du trafic de stupéfiants  dans ch crim 22 avril 1992 :

Il n’y a aucune irrégularité lorsque des agents de police se cachent dans un placard afin d’écouter une conversation puis font irruption dans la pièce pour constater un délit de corruption active dès lors que les enquêteurs étaient demeurés passifs.

 

La jurisprudence a estimé que ne caractérise pas un stratagème portant atteinte à la loyauté de preuve l’intervention de gendarme ayant pour seul effet de permettre la constatation d’un délit de trafic d’influence dont il n’avait pas déterminé la commission.

Mais quid des infractions commises aux moyens de communication électronique ?

 

 

 

Provocation et moyens de communication électronique

 

Selon l’arrêt ch crim 30 avril 2014 :

Ne constitue pas une provocation par un agent public étranger à la commission d’une infraction la création par le service de police de New-York, un site permettant aux internautes d’échanger sur des pratiques de fraude à la carte bancaire, dès lors que ce site dont la consultation n’était pas prohibé était destiné à réunir les preuves de la commission d’infractions et à en identifier les auteurs. Mais la création de ce site n’incitait pas les utilisateurs de ce site à passer à l’acte.

 

La jurisprudence interdit en revanche toute forme de provocation active de l’autorité publique ou par son intermédiaire (particulier devenant l’instrument de la police) qui a pour objet non de constater une infraction en train de se commettre (provocation passive) mais de mettre en place un stratagème, une ruse en vue de l’arrestation d’une cible la poussant ainsi à commettre des infractions pénales.

La déloyauté d’un tel procédé rend irrecevable en justice les éléments de preuve ainsi obtenus, comme l’affirme les arrêts ch crim 27 février 1996 et 9 aout 2006.

 

Porte atteinte au droit à un procès équitable la provocation à la commission d’une infraction par un agent public étranger en l’espèce un service de police new-yorkais qui avait réalisé un site pédophile crée et exploité par ce dernier aux fins de découvrir tout internaute pédophile et d’informer par la suite les autorités des pays dont les intéressés étaient ressortissants de ceux qui s’étaient connectés sur leur site.

 

Dans cette hypothèse il y a plus de participation de la police à la commission de l’infraction que dans le premier cas. Le juge analyse donc toujours le comportement de la police pour en déduire le type de provocation : active ou passive, et ainsi en déduire la recevabilité ou non de la preuve .

 

Autre cas d’irrecevabilité de la preuve, ch crim 4 juin 2008 et 11 mai 2006 à propos d’un policier ayant incité à la transmission d’images de mineurs à caractère pornographique dans le cadre d’échanges électroniques.

Notons que le législateur tend à légaliser les cas investigations policières sous anonymat avec les dernières réformes et que ce type de procédures devrait se banaliser avec le temps.

 

 

 

L’influence en droit européen en matière de provocation à la commission d’infractions via l’emploi de moyens de communications électroniques

 

Dans un arrêt de la cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) du 5 février 2008 , la cour estime que si l’intervention d’agents infiltrés est admissible dans la mesure où elle est circonscrites et entourée de garanties, elle ne saurait justifier l’utilisation d’éléments recueillis à la suite d’une provocation ACTIVE policière. Un tel procédé est susceptible de priver l’accusé d’un procès équitable.

Les juges européens mentionnent également qu’il y a provocation policière lorsque les agents impliqués ne se limitent pas à examiner d’une manière purement passive l’activité délictueuse mais exercent sur les personnes qui ont fait l’objet de l’investigation, une influence de nature à les inciter de commettre une infraction qu’autrement elles n’auraient pas commis pour en rendre possible la constatation c’est-à-dire en apporter la preuve et la poursuivre.

 

Le législateur parle désormais d’infiltration pour aborder une des formes la provocation passive. La loi du 9 mars 2004 sur la criminalité organisée a permis de réglementer ces infiltrations : il s’agit des façons pour un fonctionnaire police de relever des faits de la délinquance organisée en se faisant passer auprès de ces personnes comme un de leur co-auteur, complice ou receleur.

Certains agents se sont vus confier des pouvoirs analogues comme les agents de douane.

 

Le législateur autorise ces infiltrations dans le cadre des infractions commises à l’aide d’un moyen de communication électronique pour des faits de traite humain, proxénétisme, provocation des mineurs à la consommation de stupéfiants, le fait de favoriser la corruption de mineurs, la fabrication ou la diffusion de messages à caractère violents, pornographiques ou de natures à porter atteinte à la dignité humaine, lorsque ces messages sont susceptibles d’être vus ou perçus par des mineurs…

 

Les dernières réformes n’ont fait qu’élargir le champ de ces infiltrations. Par exemple la loi du 6 décembre 2013 relative à la lutte fraude fiscale et la délinquance financière autorisent les infiltrations afin de faciliter la constatation de certaines infractions occultes comme par exemple les délits portant atteinte au devoir de probité (corruption, trafic d’influence), les infractions visés aux articles 1741 et 1743 du code général des impôts lorsqu’elles sont commises en bande organisée, certains délits douaniers…

 

 

 

 

Nul doute que la prochaine réforme dite de modernisation de la justice lancée par la ministre Belloubet [1]https://www.20minutes.fr/justice/2375111-20181119-deputes-penchent-loi-modernisation-justice-assemblee-nationale, augmentera grandement le champ de ces infiltrations dans le cadre des infractions commises à l’aide des moyens de communication électroniques tout en permettant par extension une plus large admission des cas de provocations et de recevabilité de la preuve pénale…

 

Reférences

Reférences
1 https://www.20minutes.fr/justice/2375111-20181119-deputes-penchent-loi-modernisation-justice-assemblee-nationale

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