Avec la cybercriminalité, les cyberipoux : analyse du procès de Haurus, agent de la DGSI devenu cyberipou sur le darknet

C e mardi 15 juin 2021 jusqu’au jeudi 17 juin 2021 a eu lieu le procès d’Haurus, agent de la DGSI devant les tribunaux pour avoir vendu vos données personnelles à ses complices du darknet

Après l’affaire Lecorbeau[1]https://www.ledauphine.com/isere-sud/2017/10/07/quinze-ans-de-reclusion-criminelle-pour-le-corbeau-hoei portant sur un règlement de comptes entre cybercriminels, l’affaire Alphaomega[2]https://cyberdefenseur.com/2018/11/16/fuite-dun-dossier-dinstruction-complet-portant-sur-un-cybergang-de-trafic-de-faux-cheques-sur-le-deepweb/ dont le dossier d’instruction avait fuité puis l’affaire Shoint[3]https://actu17.fr/le-cyber-gendarme-revendait-des-informations-confidentielles-sur-le-darknet/ mettant en lumière le premier cyberipou. C’est au tour de la judiciarisation d’une affaire liée au darkweb profondément honteuse pour la France : l’affaire Haurus ou comment un agent de la DGSI est devenu un cyberipou monnayant ses services aux frais de l’Etat.

Qui est Haurus agent de la DGSI ?

dgsi haurus livre

 

Nous en parlons dans notre ouvrage phare, celui-ci avait réagi en qualifiant son auteur de “trouble”,  Christophe B. était un agent de la DGSI particulièrement spécialisé dans l’exploitation téléphonique. Flambant son argent avec son petit-ami , ce fils de gendarme  s’est retrouvé en surendettement jusqu’à l’interdit bancaire tout en ayant des problèmes avec le fisc.

La véritable cybercriminalité : manuel juridique du cybercrime, essai de cybercriminologie

Cliquez ici pour en savoir plus sur le livre la véritable cybercriminalité

 

 

Tout d’abord pour la consultation des fichiers de police à des fins personnelles d’emblée sa défense qui sera reprise par son avocat tourne au “tout le monde le fait”. Selon lui il est pratique courante pour les policiers d’utiliser librement les fichiers de police pour leur usage personnel : par exemple rechercher les fadettes de leur femme pour mettre au jour toute infidélité.

Pour lui, ce sera pour tout et n’importe quoi : quand sa mère a un souci avec son voisin, ou son compagnon avec un collègue, le permis de conduire du grand père à des fins d’annulation, le voisin de sa mère pour vérifier qu’il ne s’agit pas de quelqu’un de dangereux…

 

Je ne suis que dans une ambiance générale. Avec mes collègues, même si chacun a sa propre moralité, il y a des limites que l’on franchit délibérément, parce que ce qui compte ce sont les résultats. Il y a une réelle désinhibition dans l’usage des fichiers de police au quotidien.

 

Devant la sidération de l’audience et de la présidente du tribunal à l’écoute de ces mots, il continue :

 

« Mon exigence en termes de moralité est basse… Je peux vous parler du nombre de fois où on a imité la signature de l’interprète en langue arabe qui n’était pas disponible pour un gardé à vue, parce qu’il était urgent d’envoyer le procès-verbal. »[4]https://www.nextinpact.com/lebrief/47451/haurus-explique-comment-il-a-dejoue-controles-internes-dgsi-et-pnij

 

Et cette basse moralité ce n’est que le début :

 

« Le moment où ça dérape réellement, c’est en septembre »

 

La présidente le reprend instantanément : “Parce que jusque-là, c’était pas du dérapage ???”

 

“Bien sûr, c’est illégal mais ça me paraissait moralement presque… acceptable. À ce moment-là, c’est pas grand-chose”

 

Les français sont donc ravi de savoir à quel point la procédure pénale est bafouée, les procès verbaux falsifiés par les policiers eux-mêmes et surtout comment leurs données personnelles et les fichiers de police si attentatoires aux libertés sont utilisés par tous les policiers pour leurs usages personnels sans aucune restriction . Tout cela n’étant perçu comme “c’est pas grand-chose”.

 

Le logo d’haurus sur le darknet

 

Au début celui-ci va monnayer des données permettant la réalisation de cartes grises et de permis (avec son complice Jojodelavega) liées à de véritables données permettant de passer les contrôles de police. Puis il va racheter une boutique de faux chèques (celle de Mr.Pepper, celui qui voulait remplacer Alphaomega puis LaRelève) :

« Je n’ai jamais fabriqué moi-même des cartes d’identité. Je n’ai fait que des faux chèques. Mais le principe des chèques, c’est que pour les utiliser, il faut la carte d’identité qui va avec. »[5] … Continue reading

 

L’audience dont nous faisions partie était en permanence abasourdie par une telle minimisation des faits allant jusqu’à la banalisation.

Cela témoigne de son état de corruption puisque pour lui tout cela n’est rien jusqu’à ce qu’il se décide à ouvrir sa propre boutique sur Black-Hand, alors LaMainNoire :

 

 

 

Au début 50€ par renseignement auprès de jojodelavega puis entre 100 et 300€ le renseignement auprès du public. Là il est forcé d’utiliser les fichiers de police mais également la plateforme des interceptions judiciaires pour géolocaliser, mettre sur écoute…

 

Ce qu’il faut retenir de l’audience c’est qu’il utilise pour cela plusieurs techniques :

 

  • Il crée des procédures totalement fictives et sollicite des juges qu’il sait peu regardant

Là c’est l’appareil judiciaire qui est à pointer du doigt, il est absolument incroyable que les magistrats qui sont pourtant les gardiens de nos libertés ne cherchent pas à vérifier la légalité d’une procédure alors qu’il s’agit précisément de leur rôle.

 

  • Il fait des demandes sans aucun lien dans des affaires auxquelles il est affecté

On imagine donc là encore que les juges ne sont pas suffisamment attentifs pour déceler qu’il n’existe aucun lien de causalité suffisant à la mise en oeuvre des requêtes d’Haurus.

 

  • Il rouvre des affaires finies mais pas encore clôturées sur la plateforme, supprime les accès de ses collègues affectés et fait de nouvelles requêtes

A quel moment les juges peuvent accepter sans contrôler de telles requêtes alors que l’affaire est finie ?

 

Son avocat relève à juste titre que les juges ont fait preuve de négligence frappante notamment lorsqu’Haurus demande dans une enquête pour terrorisme islamique les informations de Thierry Ardisson.

“Thierry Hardisson est un radicalisé c’est bien connu avec sa longue barbe” clame son avocat, rires discrets au fond de la salle.

 

Ici c’est aux magistrats que la faute incombe. Il est du rôle des juges d’instruction et particulièrement aux juges des libertés et de la détention de veiller à la légalité de la procédure et que les atteintes aux droits des personnes soient proportionnelles aux moyens de l’enquête à déployer pour découvrir la vérité. Les juges ont été totalement négligeant et il est aberrants que leurs responsabilités n’aient pas été engagées, au moins pour mettre en place des garde-fous maintenant qu’il est avéré qu’il existe des cyberipoux et un tel usage personnel des fichiers de police par les forces de l’ordre. Les magistrats ont une confiance trop aveugle envers les forces de l’ordre a fortiori dans les brigades spécialisées dont fait partie la prestigieuse DGSI, saint des saints.  Cette affaire aurait pu s’arrêter très tôt si les juges avaient fait leur devoir de contrôler les requêtes du ripou Haurus.

 

Jamais aucun pays dans l’histoire de la cybercriminalité mondiale n’a connu ce phénomène de cyberipou et encore moins autant, la France établi un triste record surtout avec des éléments aussi spécialisés : les agents en question ne sont pas des généralistes type BAC, Shoint était un cybergendarme précisément affecté à la lutte contre la cybercriminalité à l’unité spécialisée C3N[6]https://www.gendarmerie.interieur.gouv.fr/pjgn/scrcgn/le-centre-de-lutte-contre-les-criminalites-numeriques-c3n et Haurus à la prestigieuse DGSI où il était réputé pour sa parfaite connaissance de l’exploitation des données téléphoniques.

 

 

Mauvais flic & mauvais voyou

 

Allant jusqu’à exploiter le fichier du renseignement Cristina pourtant classé secret-défense pour satisfaire une commande concernant Tariq Ramadan, le brigadier disposait des trois niveaux d’habilitation : Très Secret-Défense, Secret-Défense & Confidentiel-Défense (secret-France dont on parle souvent signifie simplement que cette donnée ne doit pas être connu par des personnes étrangères).

Fait absolument incroyable, l’avocat du fonctionnaire de la DGSI corrompu a quand même avancé que la recherche de la fiche TAJ et la tentative d’accès à la fiche Cristina de Tariq Ramadan ne lui portait aucun préjudice et que le tribunal devait considérer sa demande comme irrecevable. Le jour où un cyberipou cherche à accéder à monnayer vos données vous voilà averti…

 

Il aurait servi selon la présidente du tribunal « des délinquants de droit commun, du grand banditisme, des journalistes, des agents de renseignements de tous pays, des faussaires… “.

Certaines de ses requêtes liées au milieu marseillais auraient conduits à des assassinats, Haurus est mis en examen à ce titre pour corruption passive et association de malfaiteurs en vue de commettre des crimes en bande organisée dans la citée phocéenne. Nous n’aurons donc pas plus d’informations sur le volet marseillais de l’affaire au cours de l’audience…

 

Sa basse morale va encore descendre de plus belle au fur et à mesure du procès, on apprend que lors d’échanges il a été question de faux-billets. Les débats ne permettront pas de mettre en lumière son rôle exact dans le faux-monnayage faute de preuve mais cela ne s’arrête pas là…

Il va se transformer en la pire des racailles employant des moyens dignes de la mafia tout en doublant son propre complice cybercriminel jojodelavega. Ce dernier le rencarde sur Widow, membre haut placé & relativement fortuné de LaMainNoire/BlackHand. L’idée est la suivante, exiger de lui 50 000€ contre la non divulgation de son dox fourni par Haurus. Contre le tuyau jojodelavega veut la moitié des 50 000€.
Haurus prend l’initiative de faire un courrier à Widow en rajoutant une balle au courrier, provenant de son père gendarme.

 

Celui-ci avoue à l’audience qu’il n’avait aucune intention de fournir la part convenue à jojodelavega dans cette extorsion organisée. Dès lors le fonctionnaire corrompu est allé trop loin, il n’y a désormais plus aucune frontière entre lui et les dangereux criminels qu’il a à traiter dans sa carrière : il est devenu l’un d’eux, voire pire…

 

Bien qu’Haurus ne soit pas le premier cyberipou (le membre Shoint du darknet était un policier vendant des services de cyberintimidation, de drop…), il reste le premier cyberipou à une telle échelle tant en terme de production et fourniture de services que de hiérarchie. Dans quel autre pays du G20 un membre d’une agence de renseignement étatique a t-il commis de tels actes ?

 

Qui aurait pu prédire qu’en France un membre de la prestigieuse DGSI allait vendre ses services au plus offrant pour entre 100 et 300€ le service le tout en s’adonnant au trafic de faux-chèques et en pratiquant l’extorsion auprès de ses employeurs cybercriminels ?

Au delà de la DGSI c’est toute la France qui se retrouve entachée dans cette affaire…

 

 

 

Un cyberipou payé et financé par le contribuable

Outre son salaire de brigadier spécialisé financé par le contribuable et le fait que ses méfaits aient été réalisés durant son temps de travail…

Dans cette affaire c’est en tout 382 requêtes illicites, toutes payées par le contribuable car oui demander des renseignements aux opérateurs, mettre sur écoute ou géolocaliser instantanément est payé par la justice à tous les intermédiaires.
Bien que nous ne puissions hélas communiquer dans cet article les couts, ceux-ci étant couvert par le confidentiel-défense, un mémoire public[7]https://communaute.chorus-pro.gouv.fr/wp-content/uploads/2018/02/AIFE-Chorus-Pro-Référentiel-OCE-anciens-tarifs.pdf sur la plateforme gouvernementale Chorus rend public les prix antérieurs à 2016 (fichier en annexe de cet article) :

 

Le comble qui choque nos lecteurs et beaucoup de monde à en lire les commentaires dans les articles de presse c’est surtout que le cyberipou passe son temps à donner des leçons de morale sur les réseaux sociaux et son blog entre quelques spectacle de médiatisation où il se met en scène[8]https://www.nouvelobs.com/justice/20210615.OBS45304/j-etais-une-pourriture-le-soir-et-un-bon-flic-le-matin-rencontre-avec-haurus-le-policier-voyou-de-la-dgsi.html.

 

 

Dexx le détective privé

Personnalité qui nous a vraiment touché au procès, le détective privé gros client d’Haurus (jusqu’à 5 commandes par mois). Alors que l’agent corrompu minimisait les faits tout au long de l’audience jusqu’à les banaliser, le détective nous a vraiment impressionné par sa sincérité et sa profonde contrition, il est celui qui détonnait totalement avec les autres.

Nous ne l’exposerons pas plus ici, il était très réputé dans son milieu avec notamment des passages médiatiques et une excellente exposition tant sur les réseaux sociaux, les moteurs de recherche que Youtube.
Celui-ci était présent jour et nuit pour ses clients, débordé, et par “facilité” (lui même l’a reconnu), a fait appel aux services d’Haurus dans ses affaires ce qui lui a couté toute sa carrière : il est désormais interdit d’exercer sa profession d’enquêteur privé et a du vendre les parts de sa société pour 1€ symbolique  :

 

“J’ai consacré quinze ans de ma vie à ce métier que j’adore. Le plus dur, ce n’est pas d’avoir perdu sa société, mais quand mes enfants me demandent ne pas venir les chercher parce qu’ils ont honte de moi.”

 

Ouch.

Preuve de la sympathie naturelle de l’enquêteur privé Haurus brise le mur et le rencontre en face à face , chose impensable dans le milieu où donner le moindre élément sur sa véritable identité engage jusque sa propre vie (cf l’affaire Lecorbeau).

 

Après une tentative de reconversion échouée dans l’immobilier, Il est aujourd’hui autoentrepreneur dans le nettoyage. Au delà des personnes dont Haurus a volé les identités et données personnelles, il s’agit incontestablement également d’une victime indirecte de l’agent de la DGSI corrompu qui a alors poussé au vice certaines personnes fragiles. Ce type de profils se trouve énormément sur le darknet, notamment en la personne de l’administrateur V1ct0r de FrenchDeepweb – FDW. L’infirmier sans histoire est devenu un administrateur du plus grand blackmarket du darknet embrigadé par Anonymoufle puis Hamster-Guerrier qui exploitaient sa passion pour l’informatique et sa soif de libertés.

 

 

 

Transcriptions de Gabriel Thierry

 

Enfin si vous souhaitez en savoir plus, voici une transcription du procès faite par le journaliste Gabriel Thierry (devant la salle il était indiqué qu’il était interdit d’utiliser son téléphone, nous on est resté bien sages NOUS 😛 ).

 

Premier jour d’audience :

Haurus est interrogé sur son parcours Place Beauvau (gendarme adjoint volontaire, puis policier), et son arrivée à la DGSI
Après avoir eu l’habilitation d’officier de police judiciaire, il a postulé à la DGSI
– Votre père était gendarme, c’était une sorte de tradition familiale?
– Je m’orientais d’abord vers l’enseignement, mais à force de conversations avec mon père, je me suis rendu compte que j’avais besoin du cadre militaire pour m’engager. Et j’y ai pris goût.
Haurus donne un petit aperçu de la maison de Levallois-Perret:
– “C’est uniquement à l’entretien qu’on sait sur quoi on va peut-être travailler. C’est là que j’ai découvert que le poste était sur l’anti terrorisme, sur l’islam radical”, à la division J de police judiciaire.
– On sait qu’on va avoir accès à des informations, remarque la présidente…
– On se contente de recevoir les saisies du Pnat, corrige Haurus. On n’est pas nourri au renseignement, on est pas nourri au quotidien. Il y a des analystes pour cela.
Ainsi, assure par exemple #Haurus, le fichier Cristina (secret-défense, propre à la DGSI) serait utilisé avec parcimonie
– Je n’ai rien sorti de Cristina à des tiers, précise également Haurus.
– Vous avez quand même utilisé certains éléments sur Tariq Ramadan, demande la présidente.
– J’ai consulté cette fiche, mais rien n’est sorti.
– Sur un plan judiciaire, ce n’est pas une base que l’on fréquente fréquemment à la division J. Mais cela peut nous aiguiller sur la piste à prendre ou à ne pas prendre, ajoute Haurus à propos de Cristina.
On passe aux autres fichiers consultés par Haurus. La présidente demande au prévenu les dispositions de consultation pour les OPJ et APJ
Grand, cheveux courts en brosse, chemise bleue et masque noir, Haurus s’exprime clairement à la barre. Un exercice que l’enquêteur aurait du mener en tant que témoin appelé à témoigner dans un procès…
Haurus raconte ses premiers pas à la division J.
– Au début ma cheffe de groupe me confie des dossiers pour voir ma façon de rédiger. Une fois que je suis anonymisé, je suis pris sur ma première enquête. C’était une famille pour un projet terroriste.
… Puis je me rends compte qu’il y a des escroqueries. Du carding, pour financer le train de vie de la famille. Il y a une affaire de trafic de cartes de grises. Ma hiérarchie ne s’intéresse pas à ce volet là.
Moi j’ai une appétence pour le numérique, je creuse. Cela m’amène sur un forum du darkweb, French Deep Web. Je connaissais déjà le dark web, mais parce que c’est l’actualité.
Mais je m’étais jamais inscrit sur un forum. On me dit Haurus, vas y, cherche, mais ne creuse pas trop car nous avons un autre volet à traiter.
Son premier pseudo: Baudelaire93
Mais je n’ai pas la réponse à mes questions sur le trafic de carte grises, poursuit Haurus.
… Puis je me rends compte qu’un dénommé Jojodelavega a pignon sur rue, avec des cartes grises irréprochables qui passent en préfecture. Je prends attache avec lui pour comprendre ce qu’il en fait.
Haurus l’admet lui-même: il est déjà hors cadre dans ses échanges. Il continue à discuter avec Jojodelavega
… Dans le darknet, la plupart des personnes végètent, mais 10 % qui en font quelque choses, dit Haurus.
Je réfléchis pendant quelques jours. Est ce qu’une recherche sur un fichier de carte grise aura un impact ? Qu’on la verra dans la masse ?
… La tricoche est assez répandue au sein de la police nationale. Je retourne voir Jojodelava quelques jours après. Pour mettre du beurre dans les épinards.
– C’est comme cela que ça a commencé de façon sporadique
– C’était quand?, demande la présidente
– En mars 2017.
Un temps suspecté pour une période antérieure, Haurus a été renvoyé pour des faits débutant en 2017
L’objet de la fraude, rappelle la présidente, doit permettre notamment de circuler avec des véhicules volés.
– Le TAJ a la qualité d’être facile à traiter, commente Haurus.
Son tarif: 50 euros, en cryptomonnaie (bitcoin)
On bascule sur les échanges de bitcoin. Haurus fait un petit cours à la présidente sur la légalité de l’usage d’une cryptomonnaie
– Le moment où cela dérape vraiment, c’est en septembre 2017, dit Haurus.
– parce qu’avant c’était pas du dérapage ?, rétorque la présidente.
– oui, mais cela m’apparaissait presque acceptable, car ce n’était pas grand-chose.
– pour un OPJ…
Des officiers qui font des recherches à titre personnel, ce n’est pas une légende urbaine, reprend Haurus.
– Consulter pour connaître l’âge de sa belle sœur ou consulter pour vendre quelque chose, c’est quand même différent, observe la présidente.
– Je veux dire qu’il y a une différence entre le volume de départ et à la fin
– Alors qu’est-ce qui vous fait déraper encore plus ?

C’est quand Jojodelavega l’invite à faire partie d’un nouveau forum, Blackhand.
Haurus dévoile alors sa qualité de policier à Jojodelavega (lui aussi fils de gendarme). C’est à ce moment là que l’offre de service s’étoffe. « Je lui ai proposé ouvertement tout ce que je pouvais faire ».
– « C’est quelque chose que je fais le soir, je ne m’y attarde pas, il n’y a pas de discussion spécifique”, explique Haurus.
A l’automne 2017 , cela représente environ une dizaine de recherches par mois, soit 3000 à 4000 euros jusqu’en décembre 2017.
En décembre 2017, rebondissement:
Le forum Blackhand V1, géré par Jojodelavega, périclite et disparait.
– Tout le monde se reporte sur Blackhand V2, explique Haurus. Volet qui fait l’objet d’une autre information judiciaire
C’est là que le prévenu choisi un nouveau pseudo, Haurus, avec son shop dédié, et non plus derrière l’écran de Jojodelavega
– J’aurai préféré resté dans son ombre, car il y a un aspect moins confidentiel
– Vous n’avez pas l’air très timide, avec votre flyer…
– C’est calqué sur le commerce en ligne… Ce n’est pas moi qui l’ai inventé.
Avec son shop, Haurus retrouve des clients de Jojodelavega, mais cette fois-ci en direct.
Comme ce détenu, pour lequel Haurus ne s’est pas montré très curieux.
– Ce qui comptait pour vous, c’est qu’il paye, observe la présidente.
La présidente titille Haurus sur sa double vie:
– Cela aurait pu être un terroriste..
– Une fois qu’on a mis la main dedans, on en sort plus, explique-t-il.
Interrogé sur l’autre volet distinct (les meurtres à Marseille), voici ce que répond Haurus:
– A ce moment-là, je baigne dans l’idéologie terroriste au quotidien, avec des vidéos de décapitations… Ce qui se passe à Marseille, les règlements de comptes, cela me passe au dessus.
– C’est un prétexte pour ne pas vous poser de questions? demande la présidente.
– Je ne me pose pas de questions. Pour moi il y avait une finalité, le règlement de mon plan de surendettement.
Mais, au vu de la difficulté de blanchir les sommes, les bitcoins financent finalement son train de vie.

Haurus, à partir de décembre 2017, ne retire plus d’argent de son compte, une manière d’écouler discrètement les sommes illicites.
On passe aux commandes d’un autre client, le détective privé.
– Il n’était pas à l’aise avec l’informatique, c’était laborieux, revient Haurus.
Les deux hommes se voient physiquement d’abord pour qu’il lui explique les modalités du contact.
– Le détective, c’était différent. On a sympathisé. C’était des infidélités, une pension alimentaire pas payée, explique Haurus.
On passe aux recherches sur différents people, comme Denis Olivennes.
– Je ne me souviens plus du pseudo à l’origine de la demande, dit Haurus.
L’enquêteur avait ainsi communiqué son 06, sa date de naissance. Mais précise toutefois ne pas avoir conscience de sa notoriété, comme la footballeuse.
– Et pour Christelle, la plaignante de Tariq Ramadan, demande la présidente?
C’était Bidule7575 qui a fait cette demande, pseudo non identifié.
– Sans beaucoup de recherches, regrette Haurus.
– Vous n’avez pas vous aussi trouvé
– Je n’ai pas cherché
Haurus explique avoir été soulagé de ne pas avoir vendu d’infos relatives à Christelle.
Bidule7575 était en effet revenu vers lui pour se plaindre d’avoir été doublé par une tierce partie non identifiée dans le dox de Christelle.
Haurus raconte comment son usage des fichiers de police était totalement désinhibé.
Pour regarder le permis de conduire du grand père à des fins d’annulation, pour se renseigner sur le voisin de sa mère pour vérifier qu’il ne s’agit pas de quelqu’un de dangereux
– Je suis dans une ambiance générale. Avec mes collègues, même si chacun a sa propre moralité, il y a des limites que l’on franchit délibérément, parce que ce qui compte ce sont les résultats. Il y a une réelle désinhibition par rapport à l’usage des fichiers, explique Haurus.
Haurus raconte ensuite les signaux faibles qui auraient du l’inciter à arrêter.
D’abord la perquisition du détective privé, où l’on retrouve une photo de véhicule envoyée par Haurus.
Ce dernier lui offre un stage express de sécurité informatique.
Puis Blackhand V2 est démantelé par la douane, en juin 2018.
– Même si j’ai été précautionneux dans mes échanges, j’ai pris beaucoup trop de risques. Cela avait pris des proportions hallucinantes.
– C’était trop facile? demande la présidente
– La seule chose qui m’a arrêté, c’est la police. Je le reconnais aujourd’hui.
– La police a donc une utilité, remarque la présidente.
Clin d’oeil à des échanges d’Haurus sur le darknet où il se moquait de l’incurie de certains policiers?
Haurus évalue ses gains à environ 30000 euros.
Les premiers 10000 euros ont servi à investir, en rachetant le shop de MrPepper
Le reste: essentiellement pour financer son quotidien, un restau, une sortie entre amis
Un point très intéressant: les débats tournent autour du détournement de la Pnij par Haurus.

Pour rappel, l’argument du contrôle avait été mis en avant à la création de cette plateforme, contre notamment la tricoche.
Le bilan est donc en demi-teinte: Haurus a pu tromper la plateforme, mais la traçabilité de la Pnij a facilité ensuite l’enquête sur ses recherches illégitimes.
Haurus avait plusieurs techniques:
– créer des dossiers fictifs Pnij qui échapperont à la vigilance des magistrats.
– faire des demandes illégitimes dans des dossiers en cours
– revenir dans des affaires finies non clôturées en éjectant les collègues encore dans le dossier
Question d’une partie civile sur la recherche “Christelle”.
– Je n’ai pas été sur la fiche Cristina de Tariq Ramadan, mais sur le fichier Taj. Mais je n’ai pas cherché spécifiquement d’infos sur Tariq Ramadan.
Au tour du parquet de cuisiner Haurus.
– Tout cela est tracé, vous avez consulté certaines fiches plus de 15 fois. Je vous crédite de tout, sauf de la bêtise. Le tribunal appréciera”, conclut la représentante du ministère public.
– Un grand nombre de personnes sur le darknet ont pu se douter que j’ai fonctionnaire de police, explique Haurus à une avocate. Une partie de ces gens ont choisi de ne pas se dire que j’étais policier, avec le risque inverse. Tout le monde a préféré vivre dans cette ignorance.
– Qui d’autre qu’un policier a la connaissance de telles choses? demande la présidente.
– Personne d’autre, répond Haurus.
L’avocat du détective pose enfin quelques questions.
– C’est le seul client pour lequel j’ai fait des recherches raffinées, dit Haurus.
Par exemple, rendre intelligible un fichier de géoloc
Fin de l’interrogatoire d’Haurus, après environ deux heures à la barre. Il a donné l’impression d’un très bon enquêteur.
Très à l’aise, le prévenu l’est un peu trop visiblement au goût du parquet qui semble douter de la sincérité du policier.
La présidente appelle à la barre le compagnon d’Haurus, également poursuivi dans cette affaire
Il assure avoir appris assez tard les activités de son compagnon.
– Vous étiez pourtant étudiant en droit…
– En deuxième année..
– Enfin, vous aviez déjà le cadre général du droit
– Vous connaissiez Jojodelavega?, demande la procureure.
– Non, répond le compagnon d’Haurus.
– C’est incroyable, dans vos messages telegram, vous parlez d’un jojo
– Mais c’est un nom générique que j’utilise.
Au tour du détective privé de venir à la barre.

Ce professionnel prometteur s’est brûlé les ailes avec cette affaire. Interdit d’exercer par son contrôle judiciaire, il a du céder pour un euro ses parts dans un cabinet commun.
– Pour une enquête de patrimoine, on a pas de passe droits, dit le détective. Le cadastre, c’est gratuit et ça prend du temps. Le service de publicité foncière c’est douze euros. Si Haurus me permet de cibler des zones, je gagne du temps.
… pour des surveillances, je lui demandais de prévenir, pour mettre des équipes en place au bon moment, poursuit-il.

Faisant ainsi économiser des frais RH au détective.
– Au début, je ne pensais pas qu’il était un policier, mais plutôt quelqu’un travaillant dans un service de téléphonie. Je n’avais jamais vu de fadette. Je pensais qu’il était bien placé dans un ministère. Voir même qu’il ne travaillait pas seul.
Comme dit précédemment, le détective et Haurus sympathiseront. Au point de déjeuner ensemble trois fois.
– Je ne m’attendais pas à ce genre de profil, dit-il. C’est quelqu’un d’intelligent et sympathique.
– Je ne communiquais pas au client les informations d’Haurus. C’est mon travail de rendre cela présentable, précise à l’un des juges rapporteurs le détective.
– J’ai agi par opportunisme, je l’ai vu comme un outil, un mauvais outil. J’avais la tête dans le guidon, je travaillais 60h, 70h par semaine. J’avais besoin d’une information, il me la donnait, elle était fiable, et me permettait de faire des économies et gagner du temps.
– J’ai appris à travailler sans ça, ces trucs de copinage. Mais par facilité, opportuniste, feignantise…
Question du ministère public. Pourquoi Haurus a-t-il fait cadeau d’une analyse d’enquêteur sur des fadettes.
– On avait de bonnes relations. Parce que j’étais trop gentil?, répond Haurus, en haussant les épaules.
Suspension d’audience pour dix minutes.
L’audience reprend.
La présidente interroge cette fois ci CvGold, le détenu proche de la pègre marseillaise.
– J’ai rencontré quelqu’un qui m’a initié au darkweb, dit-il, avec French Deep Web.
– Il y avait de tout sur Blackhand… C’est comme Le Bon Coin. J’avais acheté un permis de conduire à Jojodelavega…
– Mais vous étiez incarcéré? s’étonne la présidente.
– C’était pour quelqu’un.
– Vous en parlez comme si c’était Amazon, s’exclame l’un des juges rapporteurs.
– J’ai intercepté des clients, dit-il. Je pouvais pas dire à Haurus que je lui prenais des clients sur un autre forum, c’est logique.
-… c’est logique, s’étrangle la présidente.

– Il ne faut pas nous prendre pour des imbéciles, poursuit la présidente. Au lieu de nous noyer dans des généralités invraisemblables, de nous dire pourquoi vous avez faits ces demandes.
La présidente commence à lire des noms.
– Les noms, je les connais pas, répond aussitôt CvGold. Je transmettais les noms sans retenir.
– Et sans vous poser des questions?
– Je sous-traitais des commandes, comme Jojodelavega.
Avec comme conséquences l’assassinat de certaines personnes profilées, objet d’une autre information judiciaire.
– Je faisais des copiés collés, dit le prévenu. Je n’avais pas d’ordinateur, juste un téléphone. #VisMaVieEnDetention
– Si on fait un copié collé, la réponse arrive pas aussitôt rapidement, observe la présidente.
– Le but du copié collé, c’est d’aller plus vite, rétorque le prévenu.
Petit fail du compagnon d’Haurus, qui a oublié de mettre son téléphone sur silencieux.

 

 

Deuxième journée :

 

L’audience reprend. Aujourd’hui, les questions vont tourner autour de l’usage de faux et les complicités
Dexx est appelé à la barre
La présidente relève qu’il avait été banni d’un forum du darknet.
– Je me suis inscrit en 2013, j’ai commencé à faire des faux en 2014, dit ce grand bonhomme mince au crâne rasé
Avec une fausse carte d’identité, il écoulait des faux chèques dans les supermarchés.
– Qu’est-ce que vous décide à les fabriquer vous même?, demande la présidente.
– Les difficultés financières, répond-il. Le prévenu mentionne également des crédits revolving.
– Au début, cela me rapportait pas grand-chose, dit-il. 20 à 30 euros par mois. Mais tout dépend de la qualité de la carte : une carte très bien contrefaite, cela vaut 300 euros.
– On se croirait sur Darty sur votre shop, s’étonne la présidente. Vous faites des promotions…
La présidente lit les nombreux équipements de contrefaçon acquis par Dexx. Sur la fin, le trafic lui rapportait beaucoup plus, quelques milliers d’euros par mois.
Dexx est contacté en 2018 par Haurus, pour un partenariat permettant de compléter l’offre du brigadier.
– Cela me permettait d’avoir un peu plus de clients, déclare Dexx.
Ils auraient eu une dizaine de clients ensemble.
– Vous étiez quand même l’un de ses interlocuteurs réguliers, remarque la présidente, qui doute de ce chiffre.
Les enquêteurs estiment que Dexx aurait gagné plus de 100000 euros. « Tout cela, vous l’avez flambé au fur et à mesure », observe la présidente.
La compagne de Dexx avait expliqué aux enquêteurs que les enfants du couple avaient par exemple des chaussures trouées.
– « L’argent appelle l’argent. C’était un engrenage », rapporte enfin Dexx.
– « C’était facile tout ça, on ne bouge pas de chez soi, avec son imprimante et son ordinateur », résume la présidente.
– « Vos clients, ce sont des délinquants », observe l’un des juges rapporteurs. « Vous vous rendez compte des dommages ? Des gens s’en servent pour commettre des délits, sinon des crimes, et grâce à vous ».
– « J’étais pris dans l’engrenage », répète Dexx.
– « Attendez, vous leur donnez des conseils, vous leur expliquez qu’il ne faut pas dépasser certaines sommes pour donner l’alerte », note la présidente.
La procureure Denis prend la parole. Elle l’interroge sur ses gains
– Il m’arrivait, au lieu d’être payé, de recevoir un ordinateur
– Mais c’est quand même un gain.
Dexx détaille son offre de faux chèques. Des One shot à utilisation unique, des Yes chèques (plusieurs chèques avec le même numéro de compte, mais plus risqués). Tous fabriqués avec des faux RIB, obtenus par un contact sur la messagerie Jabber.
Au tour de l’avocate de Dexx de poser des questions. Elle affirme que ce dernier agissait « à découvert ».
– « J’expédiais en lettre suivie, souvent depuis le même bureau de poste », dit-il.
– « Avec votre nom d’expéditeur ? », demande la présidente. Réponse négative.
L’avocate estime qu’on confond également recettes et bénéfices. Elle l’interroge sur sa marge finale, de 30 % à 50 %.
– « Oui, avec les achats de matériel, les achats de tutoriel pour m’améliorer – cela peut aller jusqu’à 3000 euros… ».
Quand Dexx reçoit sa famille, ce père de famille cache son matériel de contrefacteur chez un ami. Pour éviter les questions gênantes.
C’est l’un des points d’intérêt du procès : les profils de cette plongée judiciaire dans les shop illégaux français sont, à part CvGold, plutôt atypiques. Toutes proportions gardées, des sortes de Walter White.
La procureure Denis rappelle que Dexx s’était entendu avec un autre faussaire du dark pour réguler les prix des faux. Dans le commerce habituel, « une entente illicite », remarque-t-elle.

Haurus revient à la barre pour s’expliquer sur les faux.
– « Je n’ai jamais fait de fausses cartes, dit Haurus. Mais des chèques. Quand j’ai racheté le shop de Mr Pepper, (faux chèques) je n’avais ni le temps ni l’envie de faire des fausses cartes, cela ne m’intéressait pas (….)
(…) Mais pour vendre des chèques, les autres vendeurs proposaient des packs avec la carte d’identité. C’est pour cela que je me suis tourné vers Dexx, qui se chargeait de la conception et de l’expédition des fausses cartes. »
Sur sa « vitrine », Haurus proposait également des permis de conduire (via Jojodelavega, puis Le Faussaire).
– « Je n’ai pas utilisé les fichiers de la police pour que Dexx puisse fabriquer des cartes d’identité. Il n’y a pas nécessité que ce soit de vraies infos (…)
(….), il faut que les infos de la CNI et du chèque correspondent. »
– « Cette carte ne peut pas fonctionner dans un contrôle de police ? », demande la présidente.
– « Oui, cela va tromper une caissière, répond Haurus. Pour les permis de conduire, c’est la même chose (…)
(…) Sinon la personne va s’orienter vers quelqu’un comme Jojodelavega qui proposait des choses plus élaborées. Sur le darknet, on peut ramasser des tonnes de fichiers. Oui, j’ai eu l’intention à un moment de faire des fausses cartes grises (…)
(….) C’était un projet d’extension, mais cela n’a pas été réalisé. Mais les fausses pièces, honnêtement, il faut avoir la patience et la technicité. Jojodelavega m’avait dit qu’il passait parfois 4 heures sur un permis. »
Pendant quelques semaines, Jojodelavega disparaît. Haurus se tourne vers un autre fournisseur, Le Faussaire. Mais ses clients reviennent pour se plaindre de la qualité des faux.
– « J’étais dans une démarche commerciale. Mais j’ai rien inventé, le darknet et ces codes existent depuis des années. J’ai tenté quelques faux, mais c’était très mauvais. Je n’ai pas persisté, j’avais espoir que Jojodelavega revienne, ou qu’un autre faussaire soit dispo. »
Haurus revient sur l’épisode de l’achat du shop de Mr Pepper.
– « Il prenait sa retraite ? », demande la présidente.
– « Pas exactement. Le shop était vendu 10000 euros. Je me disais que je pourrais avec arrêter le dox », répond-il, et maintenir son CA.
La passation s’étale sur une dizaine de jours. Puis Mr Pepper lui donne ses codes d’accès sur le deep web. Mais la vente est un peu une arnaque.
– « Mr Pepper avait senti qu’il y avait un problème, analyse Haurus. Les chèques ne fonctionnaient plus aussi bien que par le passé. »
Avec la garantie de refaire un faux chèque qui n’est pas passé, Haurus se plaint de se retrouver à faire plus de service après-vente que de nouvelles commandes.
Du coup, Haurus se met aussi à proposer des tutoriels à plusieurs milliers d’euros pour apprendre à faire des faux chèques, pour tenter d’entrer dans ses frais.
– « Vous les escroquez, vous les formez à quelque chose qui va dans le mur ? », demande la présidente.
– « C’est exactement cela, plus il y aura de fabrication sur le darknet, moins cela marchera », répond franchement Haurus.

(Il n’y a pas eu de vente réalisée sur ce type de prestation).
Le matériel de faussaire d’Haurus tenait dans une petite boîte cachée sous le lit, dit-il, à l’insu de son compagnon. Haurus consacrait deux à trois heures par jour aux faux après dîner.
– « Et où était votre compagnon ? », demande la présidente.
– « Dans son bureau, il révisait. On avait une vie un peu coupée », répond Haurus.
– « Les faux chèques, il ne les a jamais vus ? »
– « Non ».
– « Mais cela vous a rapporté de l’argent que vous avez dépensé en commun », remarque la présidente.
« L’ironie du sort, c’est que vous fabriquez des faux chèques alors que vous êtes interdit bancaire », poursuit-elle. La présidente asticote depuis quelques minutes le prévenu sur les liens de ses activités délictuelles avec son compagnon (un des enjeux du procès pour ce couple).
Nouvelles questions de la procureure Denis. Elle revient sur son affirmation d’absence de consultation de fichiers de police pour des faux.
– « Sauf pour des faux permis fabriqués par Jojodelavega », se corrige Haurus.
– « Cette réponse me convient mieux ».
Un soir, Haurus demande un scan en haute résolution de son chéquier à son frère (sous le prétexte bidon d’une enquête de police) pour faire des meilleures matrices.
– « Je n’en suis pas fier aujourd’hui »
– « Il ne manquerait plus que cela », s’étouffe la procureure.
La présidente pose des questions sur les dépenses du ménage. Dont des cours de langue.
– « Dont du russe », souffle la procureure Denis.
– « Oui de russe, on voit bien l’allusion », répond aussitôt Haurus.
(Au cours de l’enquête, une proche du détective privé avait rapporté des confidences d’Haurus à ce dernier sur des clients russes dont il n’arrivait pas à se dépêtrer).
A propos des dépenses du couple, financées en partie avec les ventes illicites, et de son compagnon :
– « Mon but, c’était qu’il passe Assas, qu’il ait un avenir, c’est pourquoi je m’occupais de tout, déclare Haurus. C’est pour cela qu’il me faisait confiance. »
On revient sur ses échanges avec CvGold.
Ce dernier avait demandé s’il était possible d’avoir une copie d’une procédure judiciaire. Haurus explique avoir aussitôt refusé.
– « Il m’a demandé également s’il était possible de placer quelqu’un sur écoute. Je veux bien croire que j’ai été très loin, mais j’avais des limites. C’était largement faisable. »
CvGold sourit et hoche la tête en écoutant ses explications. Il avait également demandé de supprimer un nom du fichier des personnes recherchées.
– « Des demandes farfelues, j’en ai eu… »
Les débats se tournent vers la géolocalisation.
– « Il faut distinguer le bornage des fadettes (plus ou moins précis si on est en ville) de la géolocalisation en temps réel (fournie elle par Deveryware, précise Haurus (…)
(…) Je n’ai pas réalisé de placement en temps réel de géolocalisation, sans notion d’instantanéité. »

– « Vous l’avez fait parce qu’on ne vous a pas demandé, ou parce qu’il y avait votre barrière morale ? »
– « Un peu des deux. Et ça aurait pris du temps ».
– « Et parce qu’il faut une autorisation d’un magistrat », rappelle la procureure.
– « La société demande une réquisition mais pas une autorisation d’un magistrat », corrige Haurus.
Et le prévenu de souligner in fine qu’il existait des brèches.
Pas très rassurant, note en substance la présidente.

« Mais je prends mes responsabilités, je ne veux pas faire le procès de ma hiérarchie », ajoute Haurus aussitôt.
Au tour du compagnon d’être interrogé sur l’envoi de plis postaux.
– « La chose la plus anecdotique de ma journée », se souvient le compagnon d’Haurus, qui a bénéficié d’un non-lieu sur la fabrication des faux, tout en étant prévenu sur le recel des bénéfices.
– « Je ne suis pas faussaire, pour moi une imprimante est une imprimante, une broyeuse est une broyeuse. C’était sous le lit, c’était caché, je ne passais pas ma vie sous le lit. Je ne savais pas. Sur le train de vie, j’avais des doutes », dit le compagnon.
– « Vous pensiez que cela venait de sa relation avec le détective ? », demande la présidente.
Le prévenu répond en substance ne pas avoir cautionné et avoir craint qu’Haurus ne se mette en danger.
Un point met en difficulté le compagnon. Il a pris en photo de cartes bleues de clients étrangers venus dans le magasin de prêt à porter où il travaillait. A la demande d’Haurus, pour une enquête sur le darknet, assure-t-il.
– « Dans l’une des conversations, il est quand même question de faire cracher quelqu’un ? », demande la présidente.
– « C’était pour la faire cracher dans la boutique », répond le compagnon. « Tout simplement pour avoir fait une belle vente ».
« Bon, il ne s’agissait pas de la faire cracher pour… »
– « Je ne voudrais pas qu’on insiste alors que ma réponse est claire », coupe le prévenu (pas poursuivi pour une éventuelle escroquerie, non démontrée dans l’enquête, de cette nature).
L’interrogatoire est tendu.
– « Vous avez été sur le dark web ? », demande la présidente.
– « Et vous ? », répond du tac-au-tac le prévenu.
– « Mais quand même ! », s’emporte la procureure.
C’est en effet la présidente qui pose les questions.
– « Je n’ai pas d’appétence pour le numérique », finit par répondre le compagnon.
La procureure revient sur l’épisode des cartes #PingPong.
– « C’était une pratique de votre magasin ? »
– « Je n’ai pas compris la question ».
(…)
– « C’était dans le dossier, c’est incontournable » (procureure).
– « C’est incontournable que je ne me souviens pas » (prévenu).
– « Décidément, je comprends très mal vos réponses ».
– « Et moi, je comprends très mal vos questions ».
(…)
– « Tenez vous, il y a des limites à l’arrogance devant le tribunal »
– « Je ne suis pas arrogant, je ne comprends pas vos questions ».
Après quelques échanges, fin des questions de la procureure au compagnon d’Haurus.
Au tour de CvGold d’être interrogé
– « Quand on achète sur le net, on achète pas en son nom propre, on utilise une fausse identité pour recevoir le colis en point relais, explique, pédagogue, CvGold. Pour un drone, une commande Carrefour… »
– « Et cela passe par Carrefour ? », s’étonne la présidente.
– « Oui, il y avait une section de ventes flash, comme des parfums, sur Blackhand ».
La présidente questionne CvGold sur ses éventuelles demandes de mise sous écoute, de suppression du fichier FPR.
– « Je ne m’en souviens pas ».
– « Obtenir une procédure judiciaire, vous ne voyez pas…? »
– « Je n’en ai pas le souvenir de cette demande, poursuit CvGold. Haurus a sauvegardé les discussions. Si vous les retrouvez, on peut en parler. »
La présidente prend une discussion au hasard.
– « Il y a des commandes (de simples copiés collés affirme le prévenu) et des échanges », précise CvGold.
– « Donc c’était vous qui faites tous les paiements, donc vous savez tout ce qu’il se passe. »
On passe à Jojodelavega, l’absent du procès (mais représenté). La présidente rappelle une partie de la procédure contre ce prévenu, présenté comme un faussaire historique du dark net francophone
Les échanges sont un peu décousus, comme à chaque fois qu’un prévenu est absent. Son avocat échange depuis le fond de la salle avec la présidente.
Outre les faux documents, Jojodelavega est suspecté d’avoir fait du trafic de stupéfiants.
Son avocat précise qu’il a la garde de sa fille de cinq ans, ce qui expliquerait son absence au procès.
Le tribunal se penche maintenant sur les faux billets (avant la tentative d’extorsion).
Haurus conteste l’accusation de fabrication et d’écoulement de faux billets.
Un point important dans défense au vue de la peine encourue (dix ans d’emprisonnement) selon l’article 442-2 du code pénal:
– « Il y a des conversations avec Jojodelavega sur les faux billets », remarque la présidente
– « Parce que c’était son quotidien », répond Haurus.
– « Il vous en a proposé ? »
– « Vous aviez trois billets que vous suspectiez d’être des faux, donc vous avez demandé à votre compagnon de les mettre dans la caisse ? »
– « Tout cela, c’est du putatif basé sur un message. Mais le magasin n’a jamais détecté de faux billet. On s’est fait un film. »
La procureure revient sur le message. Bon, ça commence mal, prévenu et parquet ne sont pas d’accord sur la date du message incriminant entre Haurus et son compagnon. Elle lit l’échange.
– « A la lecture, on comprend clairement que vous avez échangé des faux billets dans le magasin » du compagnon.
– « Où sont les billets ? », rétorque Haurus.
– « En droit pénal, la preuve est libre », répond la procureure.
Haurus revient sur l’une des gardes à vue à la DGSI, où, explique-t-il, il aurait craqué en avouant avoir acheté des faux billets sur le darknet pour protéger son compagnon, avant se rétracter ensuite.
La présidente synthétise les échanges. Haurus suspectait d’avoir reçu des faux billets lors de la conversion de bitcoins.
– « Ce n’est pas à moi d’apporter la preuve », conclut-il.
La défense rappelle qu’un détecteur de faux billets avait été installé dans le magasin où travaillait le compagnon d’Haurus.
– « En aucun cas, je n’ai eu la certitude que ces billets étaient faux », explique à la barre le compagnon. « Ce sont les enquêteurs qui parlaient de faux billets, je pensais donc qu’ils étaient faux. »
– « Ce n’était pas plus simple de contrôler les billets au détecteur de billets? », s’étonne l’un des juges rapporteurs.
L’audience est suspendue, reprise des débats cet après-midi.
Reprise des débats. La présidente regrette l’absence de nombreux conseils
Le tribunal rouvre les débats sur la tentative d’extorsion contre un autre habitué des forums du darknet
La victime, Widow (orthographe incertaine), est l’un des modérateurs de Blackhand.
– « Il y a toute une période où Jojodelavega était en conflit avec les administrateurs, explique Haurus. Après la scission, les conflits ont perduré » avec des bannissements et retour sur le forum
Puis, Haurus dit avoir reçu une demande de dox à partir d’une adresse IP. Le policier trouve la mère de Widow. Puis, en cherchant davantage, il trouve l’identité de Widow.
Après ce premier dox, c’est cette fois-ci Widow qui le sollicite pour des dox. Dont un qui concerne l’administratrice Blackhand.
– « Ils se sont doxés entre eux, ils étaient visiblement amoureux », poursuit Haurus.
– « Widow était assez agressif sur le forum, il étalait ses revenus illicites, ses vacances à Dubaï. Jojodelavega m’assure qu’il est blindé. »
Selon Haurus, Jojodelavega se rend au domicile de Widow. Seul souci : la demeure est protégée, il y aurait des chiens. D’où l’idée du chantage.
– « Avec la moitié de 50000 euros, pour moi c’est fini le darknet », ajoute Haurus, sans scrupules à l’idée de voler un délinquant.
Si Haurus et Jojodelavega auraient eu ensemble l’idée du chantage, c’est le premier qui a l’idée de rajouter une balle au courrier, pour rendre crédible la menace.
– “Et vous n’aviez pas l’intention de reverser la moitié des fonds à Jojodelavega?”, demande la présidente.
– “Non, pour moi, je prenais les fonds et je disparaissais du darknet”.
– « C’est le seul moment où j’ai brisé la barrière entre le réel et le virtuel », dit Haurus.
– « Et vous mettez une cartouche de votre père, gendarme, un mélange des genres dangereux », analyse la présidente.
C’est la mère de Widow qui ouvre la lettre.
– « Vous pensiez sérieusement qu’il allait vous verser les 50000 euros ? On a l’impression que ça allait crescendo. Ce genre de faits se rapproche de ceux que vous avez eu à traiter dans votre carrière », observe la présidente.
L’avocat de Jojodelavega questionne à son tour Haurus. Le juriste reprend Haurus sur les contradictions entre ses déclarations et celles de son client.
– « Vous mettez tout sur le dos de Jojodelavega », déplore-t-il.
– « Cette action était déterminée ensemble », rétorque Haurus.
Fin des débats sur ce point.
Le tribunal passe à l’examen de la personnalité des prévenus.
Depuis ses déboires judiciaires, Haurus est devenu conseiller funéraire dans une agence de pompes funèbres.
La présidente questionne Haurus sur l’autoédition de son livre sur les investigations en téléphonie mobile.
– « Durant l’instruction, je me suis rendu compte que les avocats ne maîtrisaient pas suffisamment ces investigations, dit Haurus (…)
(…) J’ai vécu cela comme un déséquilibre. La téléphonie peut constituer un enjeu important dans la procédure pénale. »
– « Comment déjouer les enquêtes de police ? », résume la présidente.
Rires sur les bancs des avocats.
– « Pas du tout, c’est un raccourci », répond Haurus.
– « Vous auriez été content en tant qu’enquêteur de la DGSI ? »
– « J’ai vécu cela comme un exercice de réinsertion. Pourquoi y voir du mal ? »
– « Si c’était que comment comprendre les enquêtes. Mais cela s’adresse également aux clients, comment déjouer. »
– « Je ne fais que rapporter au code de procédure pénale, aux avis de la Cnil, aux textes législatifs. Je ne dévoile strictement aucun secret. Et je suis bien aise que cela soit utile aux avocats. »
– « Vous l’avez bien vendu votre livre ? »
– « Je ne crois pas que cela soit le sujet. » Puis, sur l’insistance de la présidente, Haurus explique que ses revenus lui ont permis de régler ses frais d’avocats.
La présidente interroge le prévenu sur ses prises de parole.
– « Il y avait une auréole de secret, à un moment donné il faut que la parole se libère, que les policiers tentés de déraper… Mon erreur a été de m’enfermer. Ma famille n’avait pas connaissance de mon surendettement. »
La présidente fait ensuite référence à des dires de détenus, pendant la période de détention d’Haurus. Le prévenu s’échauffe, raconte sa période de détention, ses voisins (dont certains connus).
– « Mon tort a été de parler à un détenu, qui cherchait à faire parler. J’ai porté plainte contre lui pour dénonciation calomnieuse. Il s’est évertuer à raconter une fiction pour obtenir une remise de peine (…)
(…) Oui, vous vous confiez, c’est la vie en détention. »
– « Qu’est-ce que vous lui avez dit ? », demande alors la présidente.
– « Ce que je lui ai dit ne sortait pas du lot de l’instruction », répond-il.
La procureure évoque le changement de lieu de détention, pour signaler que, selon le renseignement pénitentiaire, le prévenu alors en détention provisoire renseignait d’autres détenus.
Puis la magistrate revient sur la violation du contrôle judiciaire de son compagnon, qui a valu à ce dernier un passage en détention. Les deux hommes, pacsés, avaient interdiction de se voir.
– « On avait espoir de pouvoir, à l’issue de l’instruction, de pouvoir reprendre une vie de couple normale, explique Haurus. On a pris ce risque parce que l’on s’aime. »
– « Ce que je retiens, c’est qu’on vous dit non, la cour d’appel non, et vous passez outre », observe la procureure Denis. « C’est symptomatique de votre rapport à la loi ? »
– « C’est symptomatique de mon rapport à mon conjoint ».
Me Bouzrou prend la parole. Il interroge son client sur les précédents littéraires d’anciens policiers et gendarmes.
– « Pensez vous qu’on leur reproche d’aider la délinquance ? »
– « Je ne pense pas maître ».
Fin de l’interrogatoire de personnalité d’Haurus, c’est le tour de son compagnon.
Ce dernier se destine à être juriste en droit international et économique.
L’une des juges rapporteurs a mal entendu et croit avoir entendu “numérique” (cf. échanges sur ce point hier).
– Vous avez un biais cognitif, s’amuse le prévenu.
– Non, mais le masque n’aide pas.
La procureure reprend la parole à propos de la date du message litigieux relatifs aux faux billets. Elle relève que cette conversation n’a pas pu avoir lieu après son départ de l’enseigne de prêt à porter. Donc pas fin 2018, comme suggéré par les prévenus.
La présidente l’interroge sur ses cours de russe.
– Plus besoin, j’ai les bases.
Le compagnon a fait en tout neuf mois de détention provisoire. Il finit par s’excuser auprès du tribunal pour son comportement un peu trop “exalté” à l’audience.
Au tour de Dexx
Puis c’est le détective qui vient à la barre.

Ce dernier, après une tentative d’exercice de la profession d’agent immobilier, a ouvert une auto entreprise de nettoyage.
Il a également passé un accord avec un autre détective sur l’utilisation de sa marque d’agence de privé (qui était bien référencée sur internet, comme souvent le nerf de la guerre)
– “J’ai consacré quinze ans de ma vie à ce métier que j’adore, regrette le détective. Le plus dur, ce n’est pas d’avoir perdu sa société, mais quand mes enfants me demandent ne pas venir les chercher parce qu’ils ont honte de moi.”
Au tour de CvGold
C’est le seul prévenu à avoir un casier. La présidente lit les condamnations, il y en a beaucoup.
Il explique être invalide à 60% suite à un accident de la route.
– “Bon, quand même , vous êtes né en 69”, donc pas si âgé, remarque la présidente.
– « Je paye à chaque fois mon passé », résume CvGold, à propos de ses condamnations.
– « Il était possible de faire appel », rétorque la présidente.
– « Avec vos enfants dehors, vous préférez ne pas faire appel » pour sortir plus vite.
Les enfants en question vivent aujourd’hui au Panama. Quant au prévenu, il est désormais à l’isolement aux Baumettes, à la demande du juge d’instruction en charge du volet marseillais de l’affaire.
Le tribunal passe à l’examen de la personnalité de Jojodelavega, au RSA.
C’est du coup son avocat qui en parle.
A l’origine, le prévenu bossait dans un supermarché. Avant des problèmes de santé…
– Vous plaiderez cela, maître, s’impatiente la présidente.
– Il souhaite faire une formation informatique. C’est une personnalité taiseuse, peu loquace. Dans son esprit, son contrôle judiciaire lui interdisait cette formation.
On arrive à la fin des débats. On apprend qu’Haurus avait déposé plainte pour violation du secret de l’instruction. Classée sans suite à l’été 2019. Me Bouzrou regrette de ne pas avoir été informé – et sur le fond, déplore l’échec des investigations.
Le tribunal a pris de l’avance, un peu trop. La seule partie civile présente n’est pas vraiment partante pour plaider. Le tribunal suspend du coup l’audience.
Le tribunal reprend.
Me Bouzrou suggère à la procureure de faire ses réquisitions dès ce soir, “puisque vous avez l’air de bien maîtriser le dossier”. Nouvelle suspension dans la foulée.
Première partie civile à intervenir, un conseil (non identifié), pour Tariq Ramadan
– « Même s’il a consulté sa fiche TAJ pour avoir des informations sur Christelle, et tenté de consulter le fichier Cristina, cela porte un préjudice pour Tariq Ramadan, avec une connaissance d’informations qu’il n’avait pas à connaître ».
Pour cette atteinte à la vie privée et aux données personnelles, même s’il n’y a pas eu de distribution des informations collectées et que « Bidule7575 » n’ait pas été identifié, le conseil demande 1500 euros pour le préjudice moral.
Au tour de l’avocate représentant l’agent judiciaire de l’Etat de plaider.
Plus habituée à plaider pour solliciter, aux côtés d’un fonctionnaire, la réparation d’un préjudice. Pas cette fois.
– « Haurus, pendant deux ans, a usurpé ses fonctions, détourné des fichiers de police et monnayé contre rémunération. Aucune moralité et réflexions sur ses actes »
L’avocate déplore le discrédit « général » porté sur la profession des policiers, avec cette version 2.0 du flic ripoux, et demande une réparation de 1500 euros.
Nouvelle suspension en attendant l’arrivée de l’avocate de Christelle, l’une des plaignantes contre Tariq Ramadan
A noter donc que l’essentiel des personnes visées par les 382 recherches illégitimes ne se sont pas portées parties civiles (les familles des personnes décédées dans les règlements de comptes doivent l’être dans l’autre dossier)
L’avocate de Christelle rappelle les circonstances de son affaire l’opposant à Tariq Ramadan. Une affaire où elle tenait à son anonymat pour éviter un acharnement.
L’avocate de Christelle relève que si Haurus n’a pas donné l’information sur Christelle, il l’a confirmé à « Bidule7575 ». « C’est fondamental », relève la juriste.
– « On ne saura pas l’ampleur des échanges, puisqu’ils ont eu lieu sur Jabber », une messagerie sécurisée.
L’avocate relève qu’à la suite de la publication du dox, le nom de sa cliente sera rapporté à 84 reprises dans un ouvrage du prédicateur controversé. Le début, dit-elle, d’une campagne de violence numérique, avant de demander 5000 euros pour le préjudice.

 

 

Troisième journée :

 

La procureure Denis va donner ses réquisitions – la magistrate part à la retraite cet été, ce sera donc certainement l’un de ses derniers exercice.

Haurus, qui a fait environ un an de détention provisoire, encourt une peine de dix ans d’emprisonnement.
La magistrate a demandé une peine de sept ans d’emprisonnement et, évidemment, une interdiction d’exercer dans la police nationale et dans la fonction publique.
Elle appelle le tribunal à prononcer une inéligibilité de cinq ans, une privation des droits civiques de cinq ans et une confiscation des scellés (assez classique dans les affaires ayant un volet cyber)
On me signale en outre que la procureure Denis a pour matérialiser le préjudice des réquisitions illégitimes (quelque chose qui peut laisser indifférent, la preuve il y a eu peu de parties civiles), évoqué l’affaire du dox de Christelle, l’une des plaignantes contre Tariq Ramadan
“La procureure Catherine Denis a dénoncé un «individu dénoué de sens moral et de scrupule» qui a «trahi la République par un comportement inqualifiable». Elle a également requis cinq ans de prison, dont trois avec sursis, contre le compagnon d’Haurus

L’audience vient de reprendre avec la plaidoirie de l’avocat de Jojodelavega
Le parquet a demandé cinq ans d’emprisonnement, dont deux fermes, pour Jojodelavega
Son avocat conteste la “complicité de détournement de la finalité de fichiers. “Jojodelavega est un client: il ne savait pas de quelle manière Haurus récupérait ses données, son but c’était l’information”
Jojodelavega, par la voix de son avocat, espère une peine qui lui permettre d’éviter un retour à la case de prison. Pour s’occuper de sa fille, dit-il.
Au tour de l’avocate de CvGold, le détenu marseillais, de plaider.
L’avocate déplore qu’on estime que CvGold ne pouvait pas ignorer qu’Haurus était un policier alors qu’au départ l’enquête s’intéressait à deux hypothèses : un hacker extérieur ou un insider.
La juriste déplore également la séparation de l’affaire en deux volets distincts, pour, dit-elle, des poursuites similaires.
L’avocate demande évidemment une peine bien plus clémente que celle requise par le parquet (cinq ans d’emprisonnement)
Au tour de la défense d’Haurus, qui va plaider en deux temps.
Sur la tentative d’extorsion, l’avocate souligne le repentir de son client (jugé tardif par le parquet)
Sur les faux documents: « Cela ne suffit pas ce qu’il a reconnu, on veut rajouter des choses ? »
Sur la circulation de fausse monnaie : le parquet « a parlé d’un ensemble d’indices concordants. Mais on n’est plus au stade de l’instruction. A l’audience, c’est la preuve, et le ministère public ne la rapporte pas. »
Ce qui complique la tâche de la défense, c’est la déclaration d’Haurus, lors de sa sixième garde à vue, qui interrogé sur une conversation Telegram avec son conjoint, avait alors indiqué qu’il avait acheté des faux billets de 50 euros sur le darknet
“Une relaxe s’impose sur ces faits, le tribunal ne peut pas se satisfaire d’indices concordants”.
Avant de passer le relais de Me Bouzrou, l’avocate demande à écarter la constitution de partie civile de Tariq Ramadan
L’avocat s’attaque d’abord aux réquisitions. « On a jamais vu un tel décalage entre une audience et des réquisitions. Comment peut-on le qualifier de délinquant chevronné alors qu’il n’a jamais été condamné ? »
« Pourquoi Haurus a commencé ? Il était surendetté. Nous sommes sur des sommes faibles. Haurus aurait pu facturer mieux, et surtout pu proposer des informations plus sensibles et plus chères, dont il disposait en tant qu’agent de la DGSI, ce qu’il n’a pas fait. »
« On a voulu en faire une affaire exceptionnelle alors que des policiers qui vendent des fiches TAJ, il y en a tous les jours. C’est une pratique vieille comme le monde. Le poste d’exception qu’il avait était aucune incidence. » (Me Bouzrou)
L’avocat fait au passage le procès du contrôle de la #Pnij (ce dont il se défend):
“« Le ministère de la justice serait une victime ? On a parlé de la Pnij et est-ce qu’on contrôle ou pas ses demandes. On nous dit que c’est sous le contrôle des magistrats. (…)
(…) Cette affaire montre le contraire. Certains magistrats ont tendance à faire trop confiance à certains policiers. Quand Haurus remplit un faux dossier, ou un existant, il met le nom d’un magistrat. Celui-ci reçoit une notification. Normalement, on attend un contrôle. (…)
-…) Je ne dis pas cela pour exonérer Haurus, mais que si ce contrôle existait, ce serait plus compliqué à faire. Je trouve cela scandaleux. Des lois liberticides sans aucun contrôle, c’est très dangereux. (…)
(….) A la DGSI, dont des agents sont venus en nombre aujourd’hui : personne ne contrôle. Malheureusement on se retrouve avec ce genre d’histoires. Imaginez un agent qui vend des informations sensibles à un pays étranger. »
“Le fait qu’il soit viré de la police, c’est une très lourde sanction. Il a déjà payé très cher”, relève Me Bouzrou, qui tance ensuite un juge rapporteur suspecté de s’endormir.
« On lui en veut, il a humilié la dgsi, la justice, mais la justice ce n’est pas la vengeance. Je vous demande de prononcer une peine qui lui permettra de se présenter contre un juge de l’application des peines », donc sans mandat de dépôt. Fin de la plaidoirie de Me Bouzrou.
Les derniers mots sont pour Haurus. “Je ne suis pas pourri. Cela ne se reproduira plus jamais. Je sais que j’ai jeté le discrédit sur ma fonction, mon service. C’est toujours facile de présenter ses excuses à la barre. Je leur demande pardon. Et à ma famille et mon conjoint.”
Le délibéré sera rendu le 22 juillet

 

Pour en savoir plus sur Haurus et le darknet procurez vous notre ouvrage abordant ces affaires dans le détail :

La véritable cybercriminalité : manuel juridique du cybercrime, essai de cybercriminologie

 

Prochain procès que nous attendons avec impatience : celui de French DeepWeb[9]https://www.la-croix.com/France/Demantelement-importante-plateforme-dark-web-francais-trois-suspects-mis-examen-2019-06-17-1301029429 qui justement comprendra V1ct0r…

 

Merci à Alodia qui a pu me relayer lorsque je ne pouvais être présent aux audiences !

Reférences

Reférences
1 https://www.ledauphine.com/isere-sud/2017/10/07/quinze-ans-de-reclusion-criminelle-pour-le-corbeau-hoei
2 https://cyberdefenseur.com/2018/11/16/fuite-dun-dossier-dinstruction-complet-portant-sur-un-cybergang-de-trafic-de-faux-cheques-sur-le-deepweb/
3 https://actu17.fr/le-cyber-gendarme-revendait-des-informations-confidentielles-sur-le-darknet/
4 https://www.nextinpact.com/lebrief/47451/haurus-explique-comment-il-a-dejoue-controles-internes-dgsi-et-pnij
5 https://www.leparisien.fr/hauts-de-seine-92/haurus-le-policier-de-la-dgsi-qui-vendait-des-infos-sur-le-darknet-faisait-aussi-dans-les-faux-documents-16-06-2021-XE7UFCXLYNDZ5OPNKAS2UCBNLQ.php#xtor=AD-1481423553
6 https://www.gendarmerie.interieur.gouv.fr/pjgn/scrcgn/le-centre-de-lutte-contre-les-criminalites-numeriques-c3n
7 https://communaute.chorus-pro.gouv.fr/wp-content/uploads/2018/02/AIFE-Chorus-Pro-Référentiel-OCE-anciens-tarifs.pdf
8 https://www.nouvelobs.com/justice/20210615.OBS45304/j-etais-une-pourriture-le-soir-et-un-bon-flic-le-matin-rencontre-avec-haurus-le-policier-voyou-de-la-dgsi.html
9 https://www.la-croix.com/France/Demantelement-importante-plateforme-dark-web-francais-trois-suspects-mis-examen-2019-06-17-1301029429
Montrant 2 commentaires
  • DK
    Répondre

    J’ai vu votre message sur Twitter et j’ai donc compris pourquoi mon commentaire n’avait pas été publié.
    Pourquoi faites vous cela alors qu’il s’en est pris à vous sur son blog et qu’il a justement relayé un article où votre nom figure bien ?

    Est-il vrai que la note d’une étoile sur Amazon de votre livre est la sienne ?

  • Cyberdefenseur
    Répondre

    Mon livre a été publié sous mon nom je n’ai donc aucun problème à ce qu’il le diffuse sinon j’aurai écrit comme lui sous pseudonymat. Le fait que sa critique ait été de si mauvaise foi c’est dommage mais pour se faire publier chez ses amis de NextInpact il devait me cracher dessus et rediffuser leur article à mon sujet.

    N’oubliez pas que ce qui fait la différence entre les bons et les mauvais (flics ou criminels), c’est l’honneur.

    Mettre son nom sur le net c’est l’exposer à vie et lui ôter toute possibilité de réinsertion, vous n’avez pas l’air de vous rendre compte de la portée du stigmate…
    Le tribunal va décider d’une sanction qu’il exécutera et toute l’équipe de Cyberdéfenseur se joint à moi pour lui souhaiter le meilleur dans sa nouvelle vie.

    Ainsi n’ayant posté que sur twitter rappel ici donc : tout commentaire faisant état de son nom sera modéré.

Laissez un commentaire

0

Veuillez taper puis appuyer sur Entrée pour rechercher

Accueil
Compte
Panier
Rechercher
dgsi haurus livre